J’étais à Nantes samedi 22 février et si je reviens sur l’évènement , c’est pour tenter d’expliciter la problématique du sujet, en espérant que la longueur de cet article ne vous décourage pas. Alors d’un trait ou à petites doses prenez donc la potion, amère pour les uns elle peut être magique pour d’autres.
Selon le dernier sondage ifop, plus de la moitié des français seraient contre le projet d’Aéroport Grand Ouest (AGO) et moins d’un quart est pour. Je ne m’adresserai pas à eux, dont la conviction est faite (quoique …), mais au citoyen sur cinq qui ne formule pas d’opinion sur le sujet.
Ce projet remonte à pratiquement 50 ans, et Jean-Marc Ayrault s’en était fait le porteur. Il fait l’objet d’un contrat Public-Privé dont le concessionnaire pour 55 ans est l’aménageur et exploitant protéiforme VINCI.
Pas la peine de détailler longuement les arguments « pour », ils ont été largement diffusés. C’est d’ailleurs le répertoire classique du siècle dernier : modernisme, développement, création d’emploi … Arguments indiscutables sur le principe mais de ce fait commodes pour la justification de Grands Projets Inutiles, dont les nuisances sont plus réelles que les innovations capables de relancer l’économie stagnante ou d’améliorer la qualité de la vie.
Projets Inutiles, mais Imposés dans des démocraties représentatives illusoires, coincées entre lobbies et cirque médiatique, et où la règle du jeu des pouvoirs est plus importante pour beaucoup d’élus et de hauts fonctionnaires que le véritable intérêt public. Mais ce n’est bien sûr pas le cas en France !
Les temps étaient autres en 1965, et depuis il s’est passé beaucoup de choses (pétrole, désindustrialisation, finance, climat …) qui devaient inciter à une nouvelle réflexion. Cette réflexion, les opposants au projet s’y sont livrés. Leur opinion, au départ viscérale, s’est forgée rationnellement en démontant les omissions, les trucages, voire les mensonges qui émaillent toute opération de promotion. Il est instructif à ce propos d’écouter l’entretien avec Françoise Verchère, conseillère générale de Loire Atlantique.
Réflexion traduite aussi en actes par les 200 à 300 occupants (selon la saison) de la « ZAD » (zone d’aménagement différé, ou zone à défendre selon les camps). Dans ce bocage, (champs, haies, bois, et zones humides), vivent des agriculteurs réfractaires à l’expropriation, et des squatters de bâtiments et terres rachetés par VINCI. Ces activistes y ont instauré des communautés alternatives fonctionnant en démocratie participative. Ils restaurent l’exploitation agricole, visant à produire sain et à protéger la biodiversité riche et fragile. Ils exercent aussi leur créativité dans la construction d’habitats éphémères.
La société se décharge aussi d’un certain nombre d’exclus, de marginaux, et de révoltés vers la ZAD, refuge géré sans police et sans psychiatres.
Dérangeant fortement par leurs actions intérieures et extérieures de lutte contre VINCI et l’avancement du projet, les pas si utopistes et pas si doux « Zadistes » ont dû, à l’automne 2012, affronter une violente offensive des forces de l’ordre. Opération « César » ratée mais qui a laissé des traces dans les lieux et dans les esprits.
Autour de la ZAD autogérée, beaucoup de collectivités territoriales soutiennent le projet : notoriété politique oblige, discipline de parti, attrait des subventions, et la convoitise aussi; la spéculation sur la plus-value des terres agricoles périphériques est bien engagée. Mais toutes n’ont pas cédé aux injonctions du gouvernement et l’opposition au « fol aéroport » s’est structurée dans le cadre institutionnel légal :
– Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport (ACIPA )
– Comité d’élu-e-s Doutant de la pertinence de l’aéroport (CéDpa )
– Association de Défense des Exploitants agricoles Concernés par l’Aéroport (ADECA )
– plusieurs collectifs (organisations professionnelles agricoles, pilotes de ligne, lutte contre l’aéroport)
Pendant ce temps-là, VINCI compte les points et les indemnités qu’il exigera de l’Etat.
Mais revenons à la manifestation de Nantes. A travers les chiffres officiels d’abord, dont un seul est véridique : 1.500 gendarmes mobiles et CRS (pratiquement l’équivalent des troupes envoyées à Bangui !). Les 20.000 manifestants sont eux à multiplier par au moins 2, le millier de « casseurs » est à diviser par au moins 3.
Pour les images animées de la manifestation, ouvrir la video.
A travers la couverture médiatique ensuite, surexposant complaisamment les débordements violents et occultant la mobilisation paysanne (520 tracteurs) et citoyenne (63 cars venus de tout le pays), dans une indiscutable ambiance festive et responsable.
A travers les commentaires toxiques enfin, agitant l’épouvantail de black-blocks basés sur la ZAD, en accusant les organisations institutionnelles contestataires de leur offrir une vitrine légale, et en omettant bien sûr la curieuse stratégie provocatrice des autorités. Les plus bellicistes du champ commun UMP-PS hurlent avec le jeune loup de la place Beauvau.
Et noir c’est noir, que dire du black-out pratiqué par la plupart des grands medias? Sur la jolie lettre ouverte de Françoise Verchère à Manuel Valls, sur la conférence de Bellevue, et sur l’humoristique réponse au préfet des « black-ploucs » de la ZAD. Mais si, mais si, la presse française est indépendante …
Et que dire aussi de la criminalisation dissuasive des actes protestataires ? Pique-niquer bruyamment dans le parc de François Pinault, actionnaire important de VINCI, a valu aux perturbateurs militants des condamnations non proportionnées qu’ils ont le front de ne pas accepter (appel à Versailles mercredi 5 mars) ! Mais si, mais si, la justice française est indépendante …
La tentative de manipulation d’opinion et d’intimidation est donc évidente. Elle semble n’avoir qu’un but : justifier une offensive massive d’expulsion définitive de la ZAD. Pas sans risque vu la détermination des opposants à l’AGO. Mais à l’approche des élections, Jean-Marc Ayrault ne tient pas à engager ce casus belli et vient de calmer le jeu. Répit qui permettra peut être de voir aboutir les recours contre l’impact environnemental du projet qui, rappelons-le, était loin d’être correctement évalué lors de l’enquête d’utilité publique.
2 Comments
Je veux remercier Michel Meunier pour l’historique de ce dossier et, plus encore, pour le constat qu’il fait de l’exploitation politique scandaleuse faite par M. Valls des incidents violents qui ont accompagné la manif de Nantes.
C’est très exactement la façon utilisée par le même Valls pour les manifs contre le Mariage pour tous. Mentir, trafiquer les chiffres, inventer ou pousser des extrémistes pour déclencher la violence et justifier la répression. Mentir, discréditer, jouer avec les règles démocratiques…. Je confirme ce que j’ai écrit sur ce blog il y a quelques jours: attention, danger !
Comme je l’ai dit dans un précèdent commentaire, je n’ai pas de position fanatique pour ou contre ce projet d’aéroport, mais je dis qu’il faut d’urgence supprimer les nuisances procurées par l’actuel Nantes-Atlantique et les menaces qui planent sur la population nantaise qui se trouve en bout de piste. C’est ce qu’il y a de primordial dans cette affaire!
Non seulement les nantais subissent ces nuisances mais en plus on a mis leur ville à sac sans qu’aucune solution intelligente ne soit proposée. Cette affaire concerne certes le contribuable français qui devra payer la très lourde facture totale (que l’aéroport se fasse ou non) mais aussi les habitants de Nantes, qui eux, devront non seulement payer cette facture mais risquent de devoir subir encore longtemps ces nuisances, jusqu’à ce qu’un avion s’écrase sur leur ville. D’autre part, des gens venus de partout (même de l’étranger) se sont actuellement approprié les terres du futur aéroport, en faisant une zone de non-droit qui vient s’ajouter aux nuisances subies.