Info Citoyen, Plateau de Saclay, Vallée de la Bièvre

Le Sage de Jouy et CEA

Sep 30, 2021

C’était il y a 75 ans, pendant l’automne 1946. La perspective de construction du « CEA » induit un séisme d’appréhension dans la région et trouble la quiétude du Plateau de Saclay. Léon Blum est mêlé à ces réflexions d’une part en tant que Jovacien et d’autre part comme soutien politique et actif de la recherche scientifique pendant le Front populaire.  

Projet de Centre Atomique

            En 1945, tirant les leçons de la guerre, le Général de Gaulle demande à Frédéric Joliot-Curie, chercheur engagé et directeur du CNRS flambant neuf, et à Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l’urbanisme, de mettre en place le Commissariat à l’Energie Atomique, à visées pacifistes bien sûr.

Le projet d’installer un Centre d’études localisé sur le plateau de Saclay date de mars 1946[1]. Déjà, l’idée avait germé d’un superorganisme qui allait rassembler et coordonner toutes les recherches fondamentales et appliquées, du moins en physique nucléaire. Il s’agissait de créer « un centre pour mille ans. Le plan de masse : Versailles en petit »[2].

En 1947, la décision est prise de construire le Centre atomique de Saclay, les arguments pour le choix du lieu étant exactement les mêmes que quelques décennies plus tard : trop d’espaces libres trop près de Paris. Mais l’atome fait peur. Les populations sont inquiètes. Les agriculteurs hostiles protestent. Malgré tout, la perspective des retombées économiques est indéniable et les maires des communes environnantes ont du mal à faire valoir des arguments défavorables. Sauf le maire de Jouy-en-Josas qui possède dans sa commune un atout, maître à deux égards.

Deux raisons pour faire appel à Léon Blum

            La première raison nous entraine dix ans plus tôt. En 1936, parmi d’autres innovations plus célèbres et plus populaires, Léon Blum crée le tout premier (sous-)secrétariat d’état à la recherche scientifique, création assortie d’une deuxième originalité où il fait valoir son féminisme : alors que les femmes n’ont pas le droit de vote, il sollicite Irène Joliot-Curie pour occuper le poste de ministre. Celle-ci, dévouée aux deux causes -féministe et scientifique-, n’accepte ce poste que pour un laps de temps court, mais productif car elle imposera plusieurs orientations majeures. Ces mesures déterminantes expliquent en partie le prestige dont jouit Léon Blum auprès des chercheurs.

La deuxième raison est la suivante : après la Libération et quelques mois d’errance, le couple Blum vient élire domicile à Jouy-en-Josas et s’installe au Clos des Metz dans la charmante propriété de Jeanne sa femme. Si, au crépuscule d’une vie tellement féconde, il trouve là un havre, ce n’est pas l’inactivité paresseuse d’un retraité indolent que se plaisent à décrire tant d’écrits (pour ne pas dire tous). Dans sa jolie fermette, Blum reste avant tout un chef politique dont l’auréole et la stature ont profondément marqué l’époque contemporaine. Aussi, pendant les cinq années passées à Jouy (1945-1950), il conserve un rôle de premier plan (au moins jusqu’à fin 1948, date à laquelle la maladie le terrasse) qui le fait voyager et s’impliquer dans des actions d’envergure telles que les négociations de l’annulation de la dette de la France à New-York, la rénovation de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière), la participation au gouvernement, le projet de communauté européenne de défense, la fondation et la vice-présidence de l’Unesco, la sympathie active pour la cause sioniste, etc… De plus, hormis l’écriture de l’éditorial quotidien pour « Le Populaire », organe central de la SFIO, hormis ses activités littéraires, il faut compter les visites – ou plutôt les consultations- que nombre d’hommes politiques et publiques rendent au « Sage de Jouy ». Considéré comme parfaitement intégré et très apprécié par la population pour ses qualités humaines, il est intéressé par la vie de la commune et, bien que très rares, ses rapports avec les édiles de la ville sont très cordiaux.

Intervention du maire de Jouy

C’est armés de ces arguments qu’Emile Mousseau, maire de Jouy (1946-47 et 47-59), et le conseil municipal se tournent vers Léon Blum comme ultime recours contre le projet de centre d’études nucléaires sur la commune adjacente. L’épisode est raconté par Jacques Toutain (maire de Jouy de 1970 à 1985) qui développe avec chaleur le séjour de Léon Blum à Jouy[3].

Il est inutile de détailler le contenu de la délibération du conseil municipal car aucun des sept arguments proclamés ne déparerait les pétitions des mouvements écologiques et antinucléaires d’aujourd’hui. En conclusion, le délibéré du conseil énonce qu’il « exige qu’il ne puisse être donné suite aux projets en question ainsi qu’à l’installation d’autres usines dans notre Région où les échos des bombardements de la dernière guerre sont à peine éteints, sans l’ouverture d’une enquête publique, comme pour toute établissement présumé insalubre. »

Blum reçoit les élus du peuple au Clos des Metz, les écoute attentivement, se range à leur opinion et intervient énergiquement auprès des responsables du projet, en janvier 1947, alors qu’il venait d’effectuer une courte Présidence du gouvernement provisoire.

L’ordonnance d’expropriation des terrains de Saclay n’est prise que le 15 avril 1947.

Epilogue

Léon Blum n’a pas réussi à empêcher la création du CEN de Saclay mais il a bien réussi à indisposer ses amis physiciens nobélisés. En effet, Blum, le littéraire de haut vol, avait noué des liens d’amitié avec tous les grands scientifiques de l’époque, presque tous engagés dans l’organisation de la recherche en France. Témoin le contenu de la très longue préface du livre sur Jean Perrin d’Albert Ranc « Un grand savant au service du socialisme »[4]. La plupart de ces physiciens étaient socialistes.

Le 19 février 1947, Joliot lui écrit qu’il a été « très étonné et peiné » de le voir « s’opposer énergiquement au projet ». Brume vite dissipée.

                                                                                                Danièle Bouchet


[1] En 1942, Irène Joliot-Curie évoque « un grand terrain non bâti à vendre sur le Plateau de Saclay…. qui serait très intéressant pour y construire toute une cité universitaire ».

[2] « Frédéric Joliot-Curie », Michel Pinault, éd Odile Jacob Paris 2000

[3] « De Chazeron à Jouy en Josas : le long voyage de Léon Blum (1941-1950) », allocution de Jacques Toutain, Documents, supplément de Jouy Information, n°6, janvier 1980

[4] Éditions de la liberté, Paris, 1945

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